Pourquoi vous ne devriez plus jamais parler de « langage des signes »

Vous êtes intéressé·e par le « langage des signes » et vous avez envie de l’apprendre ? Arrêtez tout ! Prenez d’abord quelques minutes pour comprendre l’histoire de la langue des signes et pourquoi vous devez absolument parler de langue des signes et pas d’un langage.

L’abbé de l’Épée, super-star de la communauté sourde

L’abbé de l’Épée est une STAR. Vous ne me croyez pas ? Pour son anniversaire, Google a publié sur sa page d’accueil un Doodle en langue des signes :

Doodle Google pour l’anniversaire de l’Abbé de l’Épée

L’abbé de l’Épée (ou Charles Michel de l’Épée) est un prêtre entendant qui a rencontré, en 1760, deux sœurs jumelles qui communiquaient par des signes.

Après s’être intéressé à leur mode de communication, il crée le premier enseignement par signes à Paris. C’est le début de l’école pour les sourd·e·s.

Cette première étape clé dans l’Histoire de la LSF a lancé la création d’autres écoles en Europe et aux Etats-Unis. Au fil des années, les sourd·e·s reçoivent une éducation qui leur permet de briller : au XIXème siècle, on connaît des poètes, des artistes, des écrivains sourds.

Malheureusement pour la communauté sourde, ce rayonnement sera stoppé net en 1880.

Interdiction de la langue des signes, « une langue de singes qui favorise la tuberculose »

Non, ce n’est pas un Kamoulox. C’est ce qu’a annoncé le Congrès de Milan en 1880, lorsqu’il a décidé d’interdire la langue des signes à l’école.

Les raisons ?

  • Ce n’est pas une vraie langue mais « une langue de singe », un « langage inférieur »
  • Elle ne permet pas de parler à Dieu (parce que, c’est bien connu, il peut comprendre toutes les langues mais seulement si elles sont orales)
  • Elle favorise la tuberculose, car les gestes faits par les sourd·e·s les empêchent de bien respirer (j’ai eu du mal à croire que cette raison ait réellement été invoquée)

Conséquence de ce merveilleux Congrès de Milan : la LSF est interdite dans toutes les écoles françaises dès 1886. Seule la méthode « oraliste » est proposée, c’est-à-dire forcer les sourd·e·s à ne s’exprimer qu’avec le français oral.

La méthode oraliste, ça veut dire lire sur les lèvres, toute la journée. Beaucoup d’entendant·e·s pensent que pour les sourd·e·s, c’est facile. Mais il n’y a qu’à s’intéresser à leurs témoignages : c’est un effort énorme, qui demande beaucoup d’énergie, même pour celles et ceux qui ont fait ça toute leur vie.

Méthode oraliste : une petite fille sourde touche les cordes vocales de son professeur pour apprendre à reproduire les sons

La méthode oraliste, ça veut dire une concentration maximale juste pour comprendre ce qui se dit, et souvent en perdant une partie du contenu. Alors utiliser cette méthode quand on est enfant et qu’on doit apprendre à lire ou compter, c’est pire qu’avoir des bâtons dans les roues.

En plus de bloquer l’apprentissage des sourd·e·s, cette interdiction a d’autres conséquences dramatiques : de génération en génération, l’idée que la LSF n’est qu’un langage inférieur se répand. Les sourd·e·s sont méprisé·e·s, ont honte.

Le « Réveil Sourd »

1 siècle après cette interdiction, la communauté sourde n’en peut plus, le militantisme redouble d’effort : c’est le Réveil Sourd.

Des sourd·e·s se mobilisent, s’expriment, manifestent, militent. Ils créent des associations, des conférences, des expositions. Grâce à leur mobilisation, ils commencent à gagner de l’attention et des linguistes s’intéressent à leur langue.

International Visual Theatre : un tournant dans l’Histoire de la LSF

Tournant central de l’Histoire des Sourd·e·s en France : l’International Visual Theatre (IVT) est créé en 1976. Objectif : promouvoir la LSF, à travers des pièces de théâtres en LSF, mais aussi des cours de langue des signes.

C’est seulement en 1991 que la LSF est enfin autorisée à l’école. C’est cette date tardive qui explique qu’aujourd’hui, vous rencontrerez beaucoup d’adultes sourd·e·s illettré·e·s, qui ont souffert de décrochage scolaire ou qui n’ont pas pu faire d’études supérieures.

Quelques écoles bilingues français/LSF se créent alors, mais pas suffisamment : en 1998, le gouvernement s’aperçoit que seulement 1% des enfants sourds ont accès à une éducation bilingue.

Langue reconnue en 2005

Après des années de lutte, les sourd·e·s parviennent enfin à faire reconnaître la LSF comme langue à part entière en 2005. C’est une réelle victoire pour eux.

Malgré tout, la lutte n’est pas terminée. En 2012, seulement 5% des jeunes sourd·e·s avaient accès à un enseignement en langue des signes et 5% accédaient aux études supérieures.

Comme le note la Fédération Nationale des Sourds de France, « ce ne sont pas les lois qui manquent, c’est la volonté politique de les appliquer. »

L’Histoire des Sourd·e·s est marquée par une longue lutte pour faire reconnaître leurs droits. La langue des signes a été pendant longtemps méprisée, considérée comme un langage inférieur, allant jusqu’à être interdite pendant plus d’un siècle. Aujourd’hui encore, les sourd·e·s doivent se battre pour un accès plus juste à l’éducation et pour avoir une place à part entière dans la société. Alors, en tant qu’entendant·e, pour respecter cette lutte, commencez par parler de « langue des signes française », et plus de langage !

Léa

Léa

Je suis passionnée par la langue des signes et la culture Sourde. J'apprends (et pratique autant que possible!) la langue des signes française (LSF) depuis plusieurs années. J'espère vous donner une introduction à la culture sourde et vous donner envie d'apprendre la LSF !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Revenir en haut de page